Réorganiser les plantations dans l'espace, relocalisation

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Face au changement climatique les choix de localisation des parcelles de vigne sont un levier majeur d'adaptation à long terme, qui conditionne d'autres actions d'adaptation comme le choix des cépages, la gestion des sols et de la canopée, ou même les interventions oenologiques. Ces choix doivent tenir compte de la localisation actuelle des vignes dans des zones délimitées pour les appellations d'origine (AOP, IGP), avec des effets à la fois intrinsèques (qualité organoleptique du vin) et extrinsèque (images, paysages, histoire...) sur la qualité et le prix du vin. Ces choix doivent aussi prendre en compte les opportunités qu'offre le changement climatique pour cultiver la vigne dans de nouveaux espaces.

- A l'échelle d'un même terroir

La variabilité climatique peut être déjà importante, avec par exemple des écarts de température moyenne de 1 ou 2°C selon l'exposition et l'altitude des parcelle et différentes réserves utile en eau des sols (Barbaux et al., 2014 ; Delay, 2015). Cette hétérogénéité peut être considérée comme une ressource pour l'adaptation, ce qui demande: i) de faire un bilan et suivi de la variabilité spatiale du climat sur les dernières années et, si possible, ii) de simuler les évolutions possibles de cette variabilité à un horizon lointain, correspondant à celui d'une plantation (2050-70). Cette connaissance peut se construire à partir des observations des viticulteurs, mais aussi de données météo fournies à des mailles fines (Safran/Drias 8 km), ou en équipant le vignoble avec des stations météorologiques connectées. Les informations peuvent se décliner ensuite en indicateurs agroclimatiques comme l'indice de Huglin (somme de température permettant de raisonner la phénologie et le potentiel de matutrité de différents cépages) ou des cartes présentant la variabilté climatique à l'occasion d'événements extrêmes pouvant se reproduire (vagues de chaleur).
A partir de cette connaissance, la localisation de cépages actuellement cultivés peut être reconsidérée, et la plantation de nouveaux cépages (plus tardifs, plus tolérants à la sécheresse et aux hautes températures) peut être planifiée. La gestion du foncier devient alors stratégique à l'échelle individuelle et collective, en distinguant les parcelles cultivées et non cultivées (réserve foncière) et leur propriété, en envisageant les possibilités de transaction ou d'échanges fonciers, en développant si necessaire une animation ou des outils adaptés (voir plateforme RECOLTE par exemple). Les enjeux d'aménagement (terrasses, accès aux chemins, à l'eau...) mais aussi de paysage et de protection des vignobles (risques d'incendie) et écosystèmes doivent faire l'objet de concertation et simulations, en tenant compte des protections et documents d'urbanisme et d'aménagement de l'espace. C'est une nouvelle ingenierie des terroirs qui se met en place pour l'adaptation au changement climatique.

  

- Au niveau des pourtours de vignobles existants,

Dans certains vignobles, l'extension et la modification des limites d'une aire d'appellation est une opportunité à explorer. Les vignobles sont souvent implantés sur des côteaux ou même en piemont de montagne et peuvent s'étendre pour jouer sur leur altitude.
La recherche de plantations plus en altitude peut être en effet une stratégie d'adaptation qui permet de gagner en fraicheur, de limiter un deficit hydrique (pluvipométrie plus élevée) de maintenir une acidité et mieux gérer les vendanges. Dans certains cas il s'agit même de reconquerir des espaces qui avaient été plantés en vigne, mais abandonnés parce que le raisin y arrivait dificilement à maturité, ce qui n'est plus forcément le cas aujourd'hui avec le changement climatique (mais en veillant aux risques spécifiques de gels, vents...). Cette recherche d'altitude peut aussi concerner l'implantation des batiments de la cave qui pourra bénéficier de conditions thermiques plus favorables.
La recherche de sols plus profonds ou d'un accès à l'eau pour irriguer peut aussi à l'inverse justifier l'exploration de zone plus basses, mais avec là des risques à bien prendre en compte (gelées en bas fond, exposition plus forte à des vagues de chaleur...) et surtout des effets potentiels sur les compositions des raisins et les caractéristiques/classifications des vins.
La montée en altitude des vignobles est de fait déjà observée dans dans tous les pays méditerranéens (en France par exemple Vallée du Rhône, Terrasses du Larzac,  Provence et sud des Alpes, piémonts des Pyrénées)... Cette stratégie peut s'appuyer sur les connaissances et simulations climatiques envisagées à l'échelle d'un terroir (voir supra) et peut déboucher sur une demande de révision du zonage des aires d'appellation. Il s'agit alors d'une démarche collective qui doit considérer les enjeux paysagers et écologiques de manière encore plus précise.

       

- A l'échelle de régions ne produisant aujourd'hui pas ou très peu de vin,

Le changement climatique ouvre de nouvelles perspectives pour cultiver de la vigne dans des régions où elle n'a jamais été cultivée, ou de manière marginale. C'est en particulier les cas au nord de l'Europe. Les simulations fondées sur des indices de temérature moyenne (Malheiro et al., 2010 ; Hannah et al., 2013 ; Quénol et al., 2014) montrent une extension importante au sud de l'Angleterre, en Bretagne, en Allemagne, Pologne ou même Russie. De premiers viticulteurs investissent déjà de petites parcelles dans ces régions, mais avec des risques importants, liés à l'instabilité climatique et à la persistance de risques éleves de gelée. Si ces initiatives vont se multiplier, il apparaît difficile d'envisager la constitution à moyen ou même long termes de grands vignobles dans ces régions, du fait de ces risques et du montant élevé des investissements individuels et collectifs à réaliser. Là aussi les enjeu d'aménagement de l'espace et de préservation de l'environnement sont forts, comme l'ont montré aux Etats unis Hannah et al. (2013) en ce qui concerne les zone qui deviendraient cultivables en vigne dans la région des Montagnes rocheuses.

Bonnardot V., Quénol H., 2020. Viticulture en Bretagne : challenge ou opportunité. Changement Climatique et Territoires, 127–132. ⟨hal-02934910[Google Scholar]

Delay E., Piou C., Quenol H., 2015. The mountain environment, a driver for adaptation to climate change. Land Use Policy, 48 : 51-62.

Hannah, L., Roehrdanz, P. R., Ikegami, M., Shepard, A. V., Shaw, M. R., Tabor, G., Zhi, L., Marquet, P. A. & Hijmans, R. J. (2013). Climate change, wine, and conservation. PNAS 110(17): 6907-6912.

Malheiro, A. C., J. A. Santos, H. Fraga, and J. G. Pinto. 2010. Climate change scenarios applied to viticultural zoning in Europe. Clim. Res. 43: 163177.

Santos JA, Fraga H, Malheiro AC, Moutinho-Pereira J, Dinis L-T, Correia C, Moriondo M, Leolini L, Dibari C, Costafreda-Aumedes S, Kartschall T, Menz C, Molitor D, Junk J, Beyer M, Schultz HR. A Review of the Potential Climate Change Impacts and Adaptation Options for European Viticulture. Applied Sciences. 2020; 10(9):3092. https://doi.org/10.3390/app10093092


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