Prospective et stratégie nationale en France

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Changement climatique : vers une stratégie nationale d'adaptation des vignobles français, élaborée à partir de scénarios de prospective

 

Dans les prochaines années, le secteur viti-vinicole devra s’adapter au changement climatique (CC), qui modifiera les conditions de production des vins, leurs caractéristiques et leurs marchés. Une méthode originale a été mise en œuvre en France depuis 2013 au sein du programme LACCAVE de l’INRA : elle a permis d’élaborer des scénarios d’avenir possibles permettant à la filière vigne-vin de s’adapter au changement climatique . ensuite un processus participative dans les principaux vignobles français a servi de fondement à des propositions d’adaptation concrètes à diverses échelles; enfin elle a incité les organisations de la filière à élaborer une stratégie nationale et continue de les accompagner en ce sens.

 Un exercice de prospective a été réalisé dans le cadre du projet LACCAVE mis en place par l’INRA pour étudier les impacts du changement climatique et les adaptations potentielles du secteur viti-vinicole français. Un groupe de recherche « prospective » a associé un « noyau » initial d’agronomes, économistes et prospectivistes, chercheurs des Unités de recherche de Montpellier – H. Hannin (UMR MOISA) et JM Touzard (UMR Innovation) impliqués dans le projet LACCAVE et des agents de deux administrations nationales en charge de la filière Vigne et Vin (P. Aigrain, F. Brugière / FranceAgriMer et Jacques Gautier/INAO). Ce groupe a élaboré une méthode originale d’identification de scénarios conduisant à quatre stratégies d’adaptation.

Figure 1. Représentation sur 2 axes des 4 stratégies d’adaptation et des scénarios qui y conduisent

 

On présente ici un résumé de chacun des scenarios qui ne sont pas des images prédictives de l’avenir : simples outils pour stimuler la réflexion et la concertation des acteurs, ils font interférer le changement climatique et les autres facteurs d’évolutions du contexte vitivinicole.

1 Le chemin vers la stratégie conservatrice : Dans un contexte de pression des autorités sanitaires sur les boissons contenant de l’alcool et d’une gestion des terres et de l’eau en priorité destinées aux cultures alimentaires, la filière, peu liée à la recherche, perçoit le changement climatique comme une menace. Sur la base d’un contenu culturel et paysager mis en avant pour bien différencier le vin d’une boisson seulement alcoolisée, les Indications Géographiques (IG) et les régions qui les produisent constituent les îlots de résistance d’une viticulture qui se rétracte.

2 Le chemin vers la stratégie innovante : Les enjeux environnementaux et sanitaires sont moteurs d’une évolution qui conduit à l’intégration d’un nombre croissant d’innovations de la vigne à la cave. Cette évolution est autorisée dans un contexte favorable à une certaine stabilité des régions viticoles françaises et au développement d’une politique contraignante en matière de zonage agricole dans l’UE et relativement libérale en matière de conditions d’élaboration des vins.

3 Le chemin vers la stratégie nomade: Dans un contexte marqué par une politique restrictive en matière d’alcool et une recherche focalisée sur la réduction des intrants, les consommateurs soucieux de retrouver le goût de l’origine de leurs vins, conduisent la viticulture, dépourvue des connaissances nécessaires permettant de maintenir même approximativement la constance qualitative espérée, à « embarquer ailleurs » la notoriété des grandes appellations et à descendre en plaine chercher l’eau.

4 Le chemin vers la stratégie libérale:  Dans un contexte plus libéral et assez favorable au marché du vin, de nouveaux investisseurs, au niveau de la production et surtout du négoce, conduisent à un redéploiement de la viticulture entre des pôles irrigués, quelques anciens terroirs et de nouveaux vignobles bénéficiant du changement climatique. Des vins personnalisés ou de marques régionales se maintiennent, mais l’offre est majoritairement composée de vins technologiques contrôlés par quelques firmes d’aval. L’instabilité climatique, la concurrence entre vignobles, la dérégulation et la domination de quelques firmes finissent par fragiliser des entreprises viticoles désorganisées qui ne peuvent bénéficier pleinement de la R&D.

Sur base de cet exercice prospectif, des forums participatifs avec les acteurs de la filière ont été organisés dans sept régions viticoles françaises animés par un collectif plus important de chercheurs pluridisciplinaires de Laccave mobilisés par la démarche prospective (figure 2). L’objectif était alors dans une logique participative de confronter les stratégies envisagées à l’analyse des professionnels et de recueillir leurs positions sur les scénarios à privilégier.

Figure 2. Carte des forums de « science participative » réalisés dans les vignobles français

 

Les résultats obtenus ont porté sur (i) la perception par les participants des « enjeux et conséquences » des différents chemins, (ii) les « attitudes stratégiques » préférées par les participants, (iii) et enfin les « leviers d’actions » proposés.

 

Les participants ont ensuite émis leurs préférences parmi 5 attitudes stratégiques possibles :

 

Base 342 votants

Proactivité positive

Proactivité négative

Réactivité anticipée

Veille

Aucun intérêt

Chemin vers la stratégie conservatrice

21%

30%

30%

16%

3%

Chemin vers la stratégie innovante

73%

3%

22%

1%

1%

Chemin vers la stratégie nomade

3%

39%

29%

27%

2%

Chemin vers la stratégie libérale

5%

59%

16%

18%

2%

 Tableau 1 : Pourcentage des votes pour les attitudes stratégiques dans les 7 régions [(i) Proactivité positive : agir dès aujourd’hui pour favoriser l’advenue de ce futur possible ; (ii) Proactivité négative : agir dès aujourd’hui pour défavoriser l’advenue de ce futur possible ; (iii) Réactivité anticipée : se préparer dès aujourd’hui à l’advenue de ce futur ; (iv) Veille : Cette possibilité doit être placée sous surveillance ; (v) Aucun intérêt : cette histoire ne présente pas d’intérêt particulier.]

 

De nombreux leviers d’action ont été exprimés au service des attitudes stratégiques majoritaires retenues:  

Le chemin vers le scénario conservateur exprime deux attitudes opposées. Certains veulent le favoriser et proposent par exemple d’expérimenter des pratiques agro-écologiques, valoriser savoir-faire locaux et diversité, accompagner le développement de cépages anciens ou originaires d’autres régions. D’autres veulent l’éviter et proposent par exemple de promouvoir la R&D et l’innovation et d’informer sur les vulnérabilités des vignobles face au changement climatique.

Plébiscité, le chemin vers la stratégie innovante est vu comme un moyen pour maintenir une viticulture liée aux terroirs et organisée. Pour le favoriser les participants proposent notamment de renforcer partout R&D, la formation et la veille (cépages résistants, irrigation, désalcoolisation, mécanisation, nouveaux produits…) pour adapter localement les innovations et aller à la fois vers la viticulture et l’œnologie de précision, avec ou sans irrigation, et vers l’agriculture biologique.

Le rejet du chemin nomade est motivé par la crainte d’un effacement des terroirs, paysages et typicités des vins. Pour l’éviter les participants proposent de renforcer les actions collectives, syndicales, politiques pour défendre les terroirs, l’identité des produits, développer l’étude et une communication autour des terroirs existants et les aménités de la filière.

L’opposition est forte vis-à-vis du chemin vers la stratégie libérale, perçue comme remettant en cause les bases de la viticulture française. Pour l’éviter les participants proposent de maintenir une réglementation pour garantir les produits, gérer l’accès au foncier et sauvegarder la définition du vin (boisson culturelle originale) et son ancrage à un territoire.

De la science participative à l’action à plusieurs échelles ; vers une stratégie nationale concertée

La filière viti-vinicole française est caractérisée par une gouvernance nationale, complexe, fortement liée au poids des Indications géographiques (>90% des volumes produits), et interlocuteur régulier des pouvoirs publics. Informés fin 2016 de ces travaux de Laccave et de cette démarche de prospective et science participative, les principaux élus ont mis en place un protocole afin de construire un cadre stratégique national. Un « groupe de travail national » organisé par France AgriMer et l’INAO, réuni cinq fois entre janvier 2017 et juillet 2018 a invité les principales familles professionnelles au plan national à prendre connaissance de ces travaux et avancées produites par la Recherche; parallèlement, dans leurs bassins respectifs, les représentants professionnels ont été invités à provoquer des réunions et élaborer des trajectoires d’adaptation sur la base des résultats des forums régionaux.

L’intérêt d’une stratégie nationale est evident; il permettrait d’accompagner l’ensemble de la filière dans la nécessaire adaptation au changement climatique, d’assurer une cohérence d’ensemble entre niveau national et niveau régional, de mobiliser la recherche et le développement, et faire évoluer les politiques publiques y compris internationales (Union Européenne, Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV)).

Une méthodologie combinant des interactions entre niveaux régional et national a été retenue par les instances de France AgriMer et INAO. En juin 2019, un « groupe politique » réunissant les familles professionnelles a précisé sa volonté d’élaborer une stratégie nationale d’adaptation et d’atténuation face au changement climatique en lien avec la transition écologique, visant à: (i) favoriser l’INNOVATION « pour pouvoir rester », (ii) éviter la réalisation du scénario nomade et du scénario libéral, (iii) prendre en compte le scénario CONSERVATEUR, pour tenir compte de l’existant dans le secteur viticole (AOC, IGP).

Les domaines d’action retenus présentent des actions vouées à (i) renforcer les connaissances (des zones viticoles, des marchés) (ii) agir concrètement sur le terrain (sur les conditions de production, sur les pratiques œnologiques), (iii) favoriser l’innovation et sa diffusion (Recherche développement transfert, Communiquer, Former), et enfin (iv) inclure l’exigence d’atténuation (Contribuer à l’atténuation du changement climatique).

Une phase d’interaction entre ces propositions nationales et les retours des échelons régionaux (Comités régionaux INAO et Conseils de Bassin) a permis de recueillir de nombreux témoignages et avis sur des actions en cours ou envisagées dans les vignobles. Ces retours ont été analysés par le groupe prospective de Laccave, rapprochés d’informations sur les projets de recherhe pouvant les soutenir, et communiqués “à toutes fins utiles” aux instances évoquée. L’ensemble est actuellement étudié par le groupe politique pour proposer prochainement un cadre stratégique national.

 

Article rédigé à partir des travaux de  l’équipe prospective de Laccave[1], 26 Avril 2021:

Hervé Hannin (1), Jean-Marc Touzard (2), Patrick Aigrain (3), Benjamin Bois (4), Françoise Brugière (3), Eric Duchêne (5), Inaki Garcia de Cortazar-Atauri (6), Jacques Gautier(7), Eric Giraud-Heraud (8), Roy Hammond (2),  Nathalie Ollat (9).,

 

 

[1] (1) Université Montpellier, MOISA, Montpellier SupAgro/IHEV, Montpellier – France, (2) Université Montpellier, Innovation, INRA, Montpellier – France, (3)FranceAgriMer Montreuil – France, (4) Université de Bourgogne Dijon – France, (5) SVQV, INRA Colmar – France, (6) Agroclim, INRA Avignon – France, (7) INAO Montreuil – France, (8) GRETA-INRA Bordeaux – France, (9) EGFV, ISVV-INRA Bordeaux – France

 

 


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